Extraits de mes biographies afin de vous faire voyager dans ces récits de vie qui deviennent intemporels grâce à la magie de l'écriture.
Mon premier souvenir de vie est flou car je ne sais pas si c'est un souvenir raconté par ma grand-mère ou un souvenir vécu.
J'ai deux ans et demi, ma mère m'amène chez une amie qui a également un enfant pour récupérer de la dope. Je suis avec un gamin de mon âge et je me penche par la fenêtre pour aller jouer au parc. Je suis au deuxième ou au troisième étage, je mets une chaise, j'ouvre la fenêtre et je saute pour aller rejoindre les copains en train de jouer au parc. Je me rappelle encore de cette chaise, c'est une petite chaise en bois avec un coussin en mousse et un ourson dessus.
Peu de temps après ma chute, l'autre gamin va voir sa maman et ma mère et dit "Nini a pu". Ma mère panique et appelle ma grand-mère qui arrive de suite mais je ne me rappelle de rien car j'ai fait un choc cérébral lorsque ma tête a touché le béton. Je me demande encore aujourd'hui si cette chute a causé ma tumeur cérébrale qu'on me détectera un an plus tard ou si la tumeur était déjà présente et m'a poussé à ouvrir la fenêtre et à sauter. Ce qui m'a toujours effrayé dans cette histoire c'est que je frôle la mort une deuxième fois.
Mon premier souvenir vrai est un rendez-vous à l'hôpital Saint Vincent de Paul à Paris. J’ai alors trois ans et demi. Je suis assis dans un bureau et on m'annonce que j'ai une grosse boule dans la tête et qu'il faut qu'on me soigne (il s'agit en fait d'un astrocytome de haut grade, un cancer du cervelet chez l'enfant).
Je suis debout, je vois des enfants chauves dans les couloirs avec des "perf" puis je me rapproche de mon père et c'est à ce moment-là que deux infirmiers viennent me chercher. Pendant que je les suis, je me rappelle avoir croisé un petit garçon qui me dit "Ils vont te faire une piqûre dans le bras, tu vas avoir très très mal" puis les infirmiers ouvrent la porte du sas qui se referme sur moi et je vois mes parents me dire au revoir. Je me mets à hurler, je me débats ce qui oblige les deux infirmiers à appeler du renfort pour me mettre un cathéter dans le poignet. Encore aujourd'hui quand un infirmier ou un médecin regarde mes poignets pour me faire une piqûre je dis "Non" car je suis traumatisé par cet épisode.
Je ne comprends pas ce qui se passe car mes parents ne viennent pas me voir de suite alors que dans les chambres à côté les enfants sont avec leurs parents. Je ne dors pas, j'hurle la nuit, à tel point que les veilleurs de nuit me menacent d'éteindre la lumière si je continue à faire du bruit.
Mes parents sont interdits de venir me visiter car lorsqu'ils viennent me voir dans ma chambre ils se battent. Heureusement, ma grand-mère a demandé un congé sans solde pour venir à mon chevet.
J'ai énormément souffert pendant cette période que ce soit physiquement ou psychologiquement.
Très vite, je ne me nourris plus car j'ai mal à la tête, aux bras. Je me suis remis à manger car une petite fille du nom de "Prisca" a la même chose que moi dans la chambre d'à côté, elle a une tumeur et ne mange pas. C'est ainsi qu'elle se retrouve avec un "gavage", c'est à dire avec un tuyau dans l'estomac. Je me suis donc remis à manger par peur qu'il m'arrive la même chose qu'elle. Autant vous dire que la fondation des pièces jaunes n'existait pas à l'époque.
Je n'avais pas pour autant peur de la maladie (les privilèges de l'insouciance de l'âge) même lorsque mes petits copains de l'hôpital André et Julien sont morts.
Pour exemple, lorsque André meurt, je dis à ma grand-mère qui est en train de pleurer "Il faut pas, bientôt je vais aller au paradis j'aurai plus mal". Avec Julien et André on nous appelait à l'époque "les trois terribles" car on faisait connerie sur connerie, je ne les oublierai jamais…
Après cette première hospitalisation à l'hôpital Saint Vincent de Paul, je vais être transféré à l'IGR Gustave Roussy où on va m'injecter la "chimio". Lorsque je rejoins l'IGR j'ai environ quatre ans et demi cinq ans et je n'ai plus de copains parce qu'ils sont morts. Pendant cette période il m'arrive de rentrer chez moi entre deux séances de "chimio". C'est l'horreur, la "chimio" me brûle l'estomac, je vomis toutes les trente secondes, je perds mes cheveux, je deviens cadavérique. Les médecins me disent que la "chimio" sert à tuer la boule. J'ai eu au total deux cures de "chimio" qui n'ont servi à rien, hormis me bousiller un rein et une partie de l'estomac. Après ces deux cures de "chimio", j'enchaîne avec deux cures de radiothérapie.
Ma mère aura plus tard cette phrase très ironique me disant que quand j'étais malade j'étais mince comme un juif à Auschwitz et que maintenant je ressemble à un bibendum.
Quand je repense à cette période où je suis hospitalisé je pense à une personne en particulier, il s'agit de Jean François. Quand j'arrive à l'IGR je sympathise avec Jean François, le bibliothécaire qui s'occupe d'une grande bibliothèque située entre le service de cancérologie pédiatrique et le service de cancérologie adulte. Un jour je vais le voir, il range des livres et il me demande "Qu'est-ce que tu veux mon petit bonhomme ?" et je lui demande avec ma petite voix "Est ce que tu sais lire ?". Il me répond "Oui" et je lui rétorque de suite "Ben apprends-moi à lire."
Jean François est un peu hésitant et me dit "Mais tu es un peu jeune pour apprendre à lire" et je lui réponds avec détermination "Non apprends-moi à lire." J'ai commencé en lui récitant l'alphabet ; puis Jean François m'a appris avec la méthode classique en me montrant des bouquins et en me faisant associer des lettres avec d'autres lettres j'ai appris à composer des mots. Je travaillais tous les jours avec Jean François avant ma cure de "chimio" car après j'étais trop défoncé pour apprendre. Je me rappelle qu'à l'époque j'avais même fait un "deal" avec l'infirmière. J'acceptais qu'elle me pique uniquement si elle me laissait aller voir Jean François pour que j'apprenne à lire. Je ne disais pas "Je vais apprendre à lire", je disais "Je vais voir Jean François". J'apprends à lire en quasiment un mois, j'ai tout juste cinq ans.
Une fois que je sais lire, je regarde dans le dictionnaire la définition des mots. Les premiers mots que j'apprends sont "mort", "mensonge", "souffrance", "violence" car ce sont les mots que j'entendais souvent et je ne savais pas ce que ça voulait dire.
C'est avec le recul que j'ai compris que la lecture était pour moi, à ce moment-là, quelque chose de salvateur car je ne pouvais pas faire confiance à mes parents et que si je voulais savoir les choses il fallait savoir lire. J'ai voulu lire car quand je demandais aux adultes quand ma boule allait partir je voyais qu'ils lisaient et ne me disaient pas la vérité.
J'aimais aller chez Jean François pour y apprendre à lire mais aussi car deux outils ont attiré mon attention. Le premier était un tourne disque que j'utilisais quand je ne lisais pas. Je trouvais ça génial. J'aimais tellement ça que Jean François m'offre le tourne disque et me l'installe dans ma chambre. Le deuxième outil qui m'intéresse est une grosse caisse avec une cymbale. Je commence à en jouer et au fur et à mesure Jean François m'amène d'autres instruments comme des tomes, une caisse claire et j'apprends petit à petit à jouer de la batterie.
Jean François est la personne qui à l'époque m'a permis de penser que tous les adultes ne sont pas menteurs et machiavéliques. Il faut savoir que lorsque je sortais de "chimio" je rentrais chez moi une semaine sur deux et j'étais odieux avec la plupart des adultes. Quand mon père venait me chercher après la "chimio" je sentais qu'il était "gavé" d'être là et m'interdisait de vomir dans la voiture. Bien sûr je m'arrangeais pour vomir dans la voiture ou sur lui. Je me suis pris des baffes quand je faisais ça.
Je peux dire qu'à ce moment-là de ma vie, je n'étais plus un petit garçon, physiquement je l'étais mais psychologiquement je commençais à me préparer au monde des adultes.
Avant la fin de mon hospitalisation à l'IGR je me rappelle avoir fait une sortie plutôt ludique avec d'autres gamins de l'hôpital sur Paris. Cette sortie a changé ma vie. Durant cette sortie, je m'arrête devant un magasin et je me rappelle être attiré par une musique à l'intérieur. Je rentre alors dans le magasin, j'arrive à peine au comptoir, et je dis au vendeur "Je veux ça" en montrant du doigt la musique que j'écoute. Cette musique, c'était Iron Maiden. A cet instant précis, je ressens pour la première fois du bien-être, une pêche d'enfer, une libération d'endorphine et je me dis que je ne vais pas mourir. Je ressors du magasin avec mes deux premiers disques que j'ai achetés avec un billet bleu de cinquante francs donné par ma grand-mère à l'époque. Il s'agit de "Power Slave" d'Iron Maiden et "Désintégration" de "The Cure".
Après mon séjour à l'IGR Gustave Roussy, je connais une troisième et dernière hospitalisation au Kremlin Bicêtre dans le Val-de-Marne afin d'y faire deux biopsies qui permettent de se rendre compte que je fais de l'hydrocéphalie à cause des rayons.
Il faut alors m’installer une dérivation ventrico-peritonéale. Pendant cette intervention chirurgicale, je fais un arrêt cardiaque de dix-sept secondes dû à un surdosage d'anesthésique. A mon réveil, j'ai très soif à cause de la "trachéo" et j'ai la surprise d'avoir ma grand-mère à mon chevet ainsi que mon père qui me rassurent.
Je me rappelle que mon père me caresse la tête et m'appelle "Mon chéri". C'est la première fois qu'il me montre une marque d'attention. C'est à ce moment-là, qu'un médecin rentre dans la chambre et leur demande de partir. Je me mets à hurler de nouveau.
Ce sentiment d'abandon, je vais le traîner longtemps avec moi car pendant de nombreuses années je ne pourrai pas regarder des scènes d'abandon ou d'aurevoirs dans les films sans avoir les larmes qui coulent et éclater en sanglots.
Je le saurai plus tard mais c'est lors de cette hospitalisation au Kremlin Bicêtre que ma mère a demandé le divorce avec mon père qui littéralement pète les plombs à ce moment-là et fait l'adolescent.
Je reconnais avec le temps qu'inconsciemment j'ai sûrement un fond d'amour pour mon père mais que je n'ai pas eu de réelle figure paternelle pour me construire. Je n'ai que mon doudou qui représente la mascotte "Iron Maiden Eddy" que j'ai eu à l'âge de cinq ans.
Dans tout ce chaos, j'ai la chance que les médecins déplacent la tumeur de quelques centimètres lorsqu'ils ouvrent pour voir si elle est opérable et réalisent la deuxième biopsie. Cela aura comme incidence de rendre la tumeur atteignable par les rayons. A ce moment-là, la tumeur écrase complètement l'hypophyse et l'hypothalamus et surtout elle est située sur le nerf optique. J'ai quatre-vingt pour cent de chances de devenir aveugle. Ainsi, c'est lors de ma deuxième cure de rayons que les premiers résultats positifs vont arriver.
Je sors définitivement de l’hôpital le 8 juillet 1993, j'ai six ans et demi et je suis prêt à vivre.
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